6° conférence Neuvaine du Saint Cordon
Samedi 18 septembre 2021
L’homme qui accueille
Peut-être avez vu quelques images des Jeux Paralympiques à Tokyo, il y a quelques semaines ? Ils engagent les personnes souffrant d’un handicap ou d’une blessure. Personnellement, si j’étais président des JO, je commencerais par les jeux Paralympiques et organiserais seulement ensuite les jeux ordinaires ! Car ils sont extra-ordinaires les jeux paralympiques ! Et je demanderais , en outre , aux media d’accorder autant d’importance aux J.O. paralympiques qu’aux J.O dits « normaux »…
J’ai lu dans un magazine féminin (chez le coiffeur ! je ne suis pas abonné) le témoignage de Loeiza Vari Le Roux, athlète d’une vingtaine d’années.
Basketteuse depuis qu’elle est toute petite, un accident la prive à 15 ans de l’usage de ses jambes. « Après huit mois en rééducation, où j’ai appris à revivre avec mon handicap, je suis rentrée chez moi. J’ai fait un an sans sport et je passais mes journées entre le lycée et mon lit. C’est devenu insupportable. Je ne pouvais pas vivre sans basket »
Elle reprend alors le basket et la voilà très vite championne :
« Mon handicap fait ma force », dit-elle « et si, aujourd’hui, j’ai un handicap c’est pour une raison bien précise. ». Je suis capable de faire quelque chose et de devenir quelqu’un en utilisant ce handicap comme une force ! »
J’imagine tout le chemin que cette jeune femme a dû parcourir, avec des hauts et des bas, des moments de colère et d’agressivité, des jours de résignations et de pleurs, mais aussi des heures de joie et même d’extase.
Je ne sais pas si cette femme est croyante mai j’aurais aimé que le rédacteur en chef de cette revue pour femme (au passage, mon horoscope était catastrophique pour cette semaine. Il me conseillait même d’éviter de trop parler !!!) que l’interview de Loeiza soit suivi par un extrait de la lettre du Pape François Patris Corde :
« Bien des fois, des évènements dont nous ne comprenons pas la signification surviennent dans notre vie. Notre première réaction est très souvent celle de la déception et de la révolte. Joseph laisse de côté ses raisonnements pour faire place à ce qui arrive et, aussi mystérieux que cela puisse paraître à ses yeux, il l’accueille, en assume la responsabilité et se réconcilie avec sa propre histoire. Si nous ne nous réconcilions pas avec notre histoire, nous ne réussirons pas à faire le pas suivant parce que nous resterons toujours otages de nos attentes et des déceptions qui en découlent.
La vie spirituelle que Joseph nous montre n’est pas un chemin qui explique, mais un chemin qui accueille. C’est seulement à partir de cet accueil, de cette réconciliation, qu’on peut aussi entrevoir une histoire plus grande, un sens plus profond.
Joseph n’est pas un homme passivement résigné. Il est fortement et courageusement engagé. L’accueil est un moyen par lequel le don de force qui nous vient du Saint Esprit se manifeste dans notre vie. Seul le Seigneur peut nous donner la force d’accueillir la vie telle qu’elle est, de faire aussi place à cette partie contradictoire, inattendue, décevante de l’existence.
La venue de Jésus parmi nous est un don du Père pour que chacun se réconcilie avec la chair de sa propre histoire, même quand il ne la comprend pas complètement »
Je le dis autrement : consentir et non pas subir !
J’aimerais vous partager quatre pépites de quatre témoins
- qui ont accueilli ce qui leur est survenu
- qui ne se sont pas résignés passivement
- qui se sont réconciliés avec leur histoire, parfois dramatique
- qui ont consenti à l’œuvre de Dieu, à ce que Dieu fasse son œuvre au milieu de toutes les circonstances de leur histoire, sachant que malgré toutes les difficultés et contradictions, Dieu ne les abandonne pas
Quatre témoins qui, selon l’expression (19 mars 1992), du cardinal Ratzinger dans une belle méditation d’une fuite en Egypte qu’il admirait chez des amis, dont la « vie est une succession de tels chemins acceptés ».
Je vous les présente maintenant. Peut-être connaissez-vous :
- Maïti Girtanner
- Cardinal Xavier Van Thuan
- Sœur Geneviève des Portes
- Laurence Vasseur, serviteur de l’Evangile
1 Maïti Girtanner:
Née en 1922 près de Saint-Gall (Suisse) d’un père suisse et d’une mère française, Maïti Girtanner est élevée par son grand-père maternel, professeur au Conservatoire national supérieur de Paris, dans la maison familiale du Poitou. Elle révèle très tôt un immense talent de pianiste. Entrée dans la Résistance à 17 ans en jouant les passeurs au bord de la Vienne, elle est arrêtée et condamnée à mort en 1943. Croupissant dans une cave avec une vingtaine d’autres détenus, elle devient le jouet de Léo, 26 ans, jeune médecin recruté par la Gestapo pour éliminer les « terroristes » avec les techniques de torture les plus sophistiquées. Par des atteintes multiples à la moelle épinière, il fait en sorte de détruire le système nerveux de la jeune femme. Elle sera sauvée in extremis en février 1944, mais gardera des séquelles irréparables.
A 25 ans, blessée à vie par les tortures, se voyant sans avenir, sans perspective, face même à la tentation du suicide, elle DECIDA “de ne pas faire de sa vie une tragédie”.
La voilà la pépite !!!!
« Très, très vite, j’ai eu le désir fou, irrépressible, de pouvoir pardonner à cet homme », confie-t-elle face à la caméra, cinquante ans plus tard. Celle qui ne retouchera jamais un piano, renoncera à se marier et à avoir des enfants, le vit venir à elle en 1984.
Malade, à l’article de la mort, « Léo », dont elle ne prononça jamais le nom, s’était souvenu de ses conversations avec cette jeune femme à l’intelligence vive, qui parlait de Dieu et de « l’après-vie » avec ses compagnons de torture. « Qu’est-ce que je peux faire ? », lui demande alors celui qui était devenu un père de famille respecté. « Ne vivez que d’amour, puisqu’il vous reste quelques semaines. »
Joseph n’a pas connu ce qu’a connu Maïti. Il n’a pas connu la torture des nazis ! Mais il a choisi lui aussi de ne pas faire de sa vie une tragédie !
2 Cardinal F. Xavier Van Thuan (Vietnam): en prison ou en arrêt domiciliaire plus de 13 ans par les communistes.
Né le 17 avril 1928 à Phu Cam dans l'archidiocèse de Hué, il est l’aîné d’une famille de huit enfants. Il est le neveu du premier président de la République du Viêt Nam, Ngô Đình Diệm, sa mère étant la sœur de celui-ci1. Il fait ses études au petit puis au grand séminaire et il est ordonné prêtre le 11 juin 1953 par Mgr Urrutia, Il continue ses études à Rome.
Le 24 avril 1975, il est nommé par le Pape Paul VI archevêque coadjuteur de l'archidiocèse de Saïgon. Sa nomination est refusée par le nouveau pouvoir communiste qui, le 15 août 1975, le convoque au palais de l'indépendance avant de le placer en résidence surveillée, puis de l'interner au cachot de la prison de Phu Khanh, puis au camp de rééducation de Vinh Phu au Nord Viêt Nam, dans la résidence surveillée dans la petite chrétienté de Giang Xa, et enfin dans les locaux de la Sûreté de Hanoï. Sa détention, qui prend fin le 21 novembre 1988, a duré plus de treize ans. Loin d'être libre, il est assigné à résidence dans les bâtiments de l’archevêché de Hanoï où ses conditions de vie matérielles sont néanmoins plus confortables.
C'est durant ces années d'emprisonnement qu'il écrit son testament spirituel pour tous les catholiques du Vietnam et de l'étranger : Sur le chemin de l'Espérance2.
Lors d’un séjour à Rome en septembre 1991, il apprend que le gouvernement ne souhaite pas son retour au pays. Alors sa sainteté le pape Jean-Paul II accueille le prélat proscrit et confesseur de la foi et lui accorde asile dans l'Etat de la cité du Vatican.
Elevé à la dignité de cardinal en 2001, Le cardinal Van Thuan s’éteint le 16 septembre 2002 à l’hôpital romain Pie XI des suites d’un cancer, à l’âge de 74 ans. Ses funérailles sont présidées par le pape Jean-Paul II lui-même, en la basilique Saint-Pierre le 20 septembre 2002.
13 années d’incarcération, certaines dans des conditions effroyables. Un jour dans sa prière en prison, fatigué de toujours espérer sa libération, il dit à Jésus: “Seigneur, je n’attendrai plus, dès maintenant je remplirai chaque instant d’amour …” Cette décision intérieure est celle qui lui a permis de survivre et de transformer la tragédie en offrande. Il raconte cela dans la retraite prêchée au Vatican en l’an 2000 “Témoins de l’espérance”.
Joseph n’a pas connu ce qu’a connu le cardinal Van Thuan. Il n’a pas connu le cachot et le camp de rééducation des communistes ! Mais il a choisi de remplir d’amour…chaque instant de sa vie !
3 Geneviève des Portes, sœur auxiliatrice – décédée en 1986 à l’âge de 63 ans
« Un jour, j’étais si malade, dans mon ermitage de l’Aubreguière, que j’ai eu envie de dire : « laisse tomber, Geneviève, ta route est finie » ; c’était le désespoir.
Alors, dans ma pensée ont surgi ces millions de frères de partout et de toujours, qui attendaient en suppliant mon « oui » à la vie, afin que l’espérance continue.
Alors, dans un immense effort, je me suis levée de mon lit où la fièvre m’avait clouée. Effort inouï, afin que l’espérance continue et qu’un jour, avec tous mes frères, nous nous retrouvions dans l’universelle et éternelle communion.
Sentiment de la puissante action de Dieu qui nous dépasse, comme l’océan emporte une goutte d’eau, vibration qui met dans une paix profonde et dans un état d’offrande…
J’y consens et j’offre, en communion avec tous mes frères, l’acceptation de cette puissance qui accomplit sur son passage l’œuvre de vie par la mort, l’œuvre de naissance et de commencement par un certain déchirement.
Consentir aux autres. Consentir à ceux que je sens hostiles. Consentir à Toi, comme tu as consenti à ton Père, comme tu as consenti à Pierre, à Jean, à Judas.
Vie de ma vie, si ta présence ne m’est pas donnée, il ne me serait pas possible de consentir, je voudrais fuir…. Consentir à ce qui m’arrive ici et maintenant, Vie de ma vie, je t’offre mon acquiescement humble et un peu tremblant… Je le confie, afin que la volonté de Celui qui t’a envoyé et qui m’a envoyé à ta suite s’accomplisse
Reçois mon offrande, pour tous ces frères de partout et de toujours »
Joseph n’a probablement pas connu le cancer, comme sœur Geneviève mais il a consenti à ce qui arrivait … Il a offert son acquiescement humble et peut-être tremblant à la volonté de Dieu
4 – témoignage de Laurence Vasseur
Laurence est Serviteur de l’Evangile, vous l’avez peut-être connue pendant plusieurs années alors qu’elle habitait encore Valenciennes. Elle est maintenant en Corée.
Elle a donné son témoignage “La montagne à gravir” lors d’un grand rassemblement à Lourdes
« La montagne à gravir dans ma vie ça a été la MORT de mon père arrivée subitement (il a eu un infarctus à l’âge de 42 ans). Moi j’avais 15 ans, - nous sommes 5 enfants dans ma famille -, ma petite sœur n’avait que 6 ans! Ce jour-là était un samedi normal, en pleine préparation des examens de juin ; après un match de foot avec mes frères et leurs copains, mon père s’est senti mal ... Et le soir, tout d’un coup nous voilà plongés dans la mort : tout est fini! “Je suis orpheline ... et personne ne peut me comprendre”, c’est ce que je me répétais constamment dans ma tête en faisant tout pour cacher mes larmes ... Mais la tristesse devenait permanente ...
Alors à 16 ans, je commence à vivre “une double vie” : extérieurement, je vis comme si tout allait bien, je suis “joyeuse”, j’ai pas mal d’amis au lycée, on s’amuse, on rit, on fait les imbéciles ..., mais intérieurement c’est la mort qui m’habite de plus en plus ».
En effet, elle est complètement révoltée contre la mort, la vie, ... et contre Dieu. Dans cette nuit noire qui dure plus de 6 ans, le Seigneur vient la chercher. C’est à travers la vie de sa mère (restée seule à devoir s’occuper de 5 enfants ...), à travers son amour et sa foi qui l’ont supportée quand vraiment elle était “insupportable” (ce n’est pas toujours facile d’aimer quelqu’un qui souffre ...), qu’ll s’est manifesté « et puis surtout Il est venu me “repêcher” à travers le témoignage d’un prêtre missionnaire espagnol. » ajoute-t-elle
C’est à travers une très belle Parole de Dieu dans la Bible (dans le livre de l’Ecclésiastique 35,15)qu’elle put retrouver la foi : “Les larmes de l’orphelin ne coulent-elles pas sur mes joues?” Dieu avait pleuré avec moi, chaque fois ..., et moi, je ne le savais pas!
Par exemple, 4 ans après cet été-là, maman meurt de manière aussi soudaine (d’une hémorragie cérébrale foudroyante ... en plein milieu d’un pèlerinage). Au coeur de cette souffrance immense – perdre sa maman, il n’y a pas de mots pour dire ça! - Dieu me disait : Laurence, tu peux vivre cette mort non pas comme une tragédie qui t’écrase pour la deuxième fois, mais avec l’espérance de la foi. Ta maman est vivante, elle t’accompagne ... Rappelle-toi :“L’Amour est plus fort que la mort” (cf. Cantique des Cantiques), rappelle-toi les paroles de ce prêtre, mon Amour est si puissant qu’il peut encore te relever
La pépite ? Elle tient en plusieurs lignes !
« la plus grande folie de l’Amour de Dieu, c’est qu’Il m’a fait découvrir peu à peu qu’Il avait besoin de mon chemin de vie parcouru! Il en avait besoin pour faire sortir de la “mort intérieure” beaucoup de frères et soeurs accablés par trop de souffrances, par des épreuves trop lourdes à porter ... des cœurs “orphelins de Dieu” ... parce que comme moi, ils ne le connaissent pas, ils ne savent pas qu’Il est “en notre faveur” ... C’est pour cela que je suis missionnaire! Dieu m’a fait sortir du silence de la mort, du repli sur soi que provoque inévitablement la souffrance. Il m’a fait comprendre que la pire chose, ce n’est pas d’avoir perdu son père ou sa mère (même si c’est très douloureux), mais d’être “orphelin de l’Amour”, orphelin de Dieu ... seul au monde.
Je ne sais pas de quoi sont morts les parents de Joseph mais il en avait et il les a sûrement pleurés. En tous cas, son désir a été de ne laisser personne orphelin d’amour, orphelin de Dieu !
Oui, « Consentir, plutôt que subir”
Quelle définition le dictionnaire donne-t-il de ces deux mots ?:
-- subir, c’est supporter contre son gré une chose pénible, désagréable.
C’est avoir une attitude passive devant quelque chose, devant la vie.
-- consentir, c’est accepter que quelque chose se fasse, advienne …
En langage chrétien, langage de la foi,
- “subir” serait l’attitude des cœurs sans foi vivante, attitude “païenne” qui nous fait toujours nous situer “en victime” des circonstances, des autres (rejeter “la faute” dehors, en dehors de soi).
En quelque sorte “laisser nos ténèbres nous parler” contrairement au chant de Taizé.
« Jésus le Christ, lumière intérieure, ne laisse pas mes ténèbres me parler… » Et au contraire,
- “consentir” est l’attitude du cœur vivant selon l’Évangile, qui devient capable de recevoir, d’accueillir … jusqu’à même arriver à accepter parfois l’inacceptable. Sans aucune résignation ni fatalité.
Cf. “Jésus, le Christ, lumière intérieure, ne laisse pas mes ténèbres me parler, […] Donne-moi d’accueillir ton Amour.”
Permettez-moi de revenir à la merveilleuse lettre du pape François Patris corde
« Ce que Dieu a dit à notre saint : « Joseph, fils de David, ne crains pas » (Mt 1, 20), il semble le répéter à nous aussi : "N’ayez pas peur !". Il faut laisser de côté la colère et la déception, et faire place, sans aucune résignation mondaine mais avec une force pleine d’espérance, à ce que nous n’avons pas choisis et qui pourtant existe. Accueillir ainsi la vie nous introduit à un sens caché. La vie de chacun peut repartir miraculeusement si nous trouvons le courage de la vivre selon ce que nous indique l’Évangile. Et peu importe si tout semble déjà avoir pris un mauvais pli et si certaines choses sont désormais irréversibles. Dieu peut faire germer des fleurs dans les rochers. Même si notre cœur nous accuse, il « est plus grand que notre cœur, et il connaît toutes choses » (1Jn 3, 20) ».
5. Père au courage créatif
« Si la première étape de toute vraie guérison intérieure consiste à accueillir sa propre histoire, c’est-à-dire à faire de la place en nous-mêmes y compris à ce que nous n’avons pas choisi dans notre vie, il faut cependant ajouter une autre caractéristique importante : le courage créatif, surtout quand on rencontre des difficultés. En effet, devant une difficulté on peut s’arrêter et abandonner la partie, ou bien on peut se donner de la peine. Ce sont parfois les difficultés qui tirent de nous des ressources que nous ne pensons même pas avoir. »
J’aimerais terminer par un autre poème de Madeline Delbrêl, cette assistante sociale mystique.. Un poème qu’elle écrivit un soir de 14 juillet, alors que le bal battait son bon plein… ,
sachant bien que cela arrive toujours en dansant.
Seigneur, enseignez-nous la place
Que, dans ce roman éternel Amorcé entre vous et nous, Tient le bal singulier de notre obéissance.
Révélez-nous le grand orchestre de vos desseins,
Où ce que vous permettez jette des notes étranges
Dans la sérénité de ce que vous voulez.
Apprenez-nous à revêtir chaque jour Notre condition humaine
Comme une robe de bal, qui nous fera aimer de vous
Tous ses détails comme d’indispensables bijoux.
Faites-nous vivre notre vie,
Non comme un jeu d’échecs où tout est calculé,
Non comme un match où tout est difficile,
Non comme un théorème qui nous casse la tête,
Mais comme une fête sans fin où votre rencontre se renouvelle,
Comme un bal,
Comme une danse,
Entre les bras de votre grâce,
Dans la musique universelle de l’amour.
Seigneur, venez nous inviter.
Madeleine DELBRÊL, Nous autres gens des rues