Homélie 27 mars 2022 4° Carême

4° dimanche de Carême 2022 La réconciliation / La mauvaise foi Vous aimez Pagnol ? Il sait dire avec tendresse et simplicité ce qu’il y a de plus délicat en nos cœurs :

 

4° dimanche de Carême 2022
La réconciliation / La mauvaise foi

 

Vous aimez Pagnol ? Il sait dire avec tendresse et simplicité ce qu’il y a de plus délicat en nos cœurs :

« Un soir, avec son vieil ami Norbert Calmels, abbé de Frigolet, il arpente la colline de N.D. de la Garde. Soudain regardant la mer, Pagnol s’arrête et raconte : “Un jour Marius et Olive montèrent en pèlerinage à N.D. de la Garde et de l’endroit où nous sommes, Marius dit à Olive : “Regarde !” Et Olive de s’écrier ! “Mon Dieu, que d’eau !” “Et encore, répond Marius, tu ne vois que la surface !” “Norbert, poursuivit Pagnol, la plupart des choses ne se voient pas et ne se disent pas. Elles sont cachées, sous-entendues. Ce qu’on voit, c’est la petite vague au-dessus. Les profondeurs, ça ne se voit pas”.

 

J’aimerais qu’un livre de Pagnol nous aide à entrer dans les profondeurs de la Réconciliation, La Gloire de mon père ! Dans ce roman autobiographique sur ses souvenirs d'enfance dans les collines autour d'Aubagne, Pagnol se souvient que son père Joseph aimait lui donner des leçons de vie.

 

Un professeur se faisant photographier après avoir péché un gros poisson est l’occasion pour Joseph de mettre en garde son fils contre la vanité : « Se faire photographier avec un poisson, quel manque de dignité ! ». La leçon reste gravée dans la tête de l’enfant.

 

Mais voici que Joseph part à la chasse avec son beau-frère, Jules (bien meilleur

Chasseur). Le fils de Joseph n’ayant pas eu l’autorisation de participer à la chasse les suit à distance….

« A travers les branches, je le vis. Le vallon, assez large et peu boisé, n’était pas très profond. L’oncle Jules venait de la rive d’en face, et il criait, sur un ton de mauvaise humeur :

- Mais non, Joseph, mais non ! Il ne fallait pas tirer ! Elles venaient vers moi ! C’est vos coups de fusil pour rien qui les ont détournées !

J’entendis alors la voix de mon père, que je ne pouvais pas voir, car il devait être sous la barre :

- J’étais à bonne portée, et je crois bien que j’en ai touché une !

-  Allons donc, répliqua l’oncle Jules avec mépris. Vous auriez pu peut-être en toucher une, si vous les aviez laissé passer ! Mais vous avez eu la prétention de faire le « coup du roi » et en doublé ! Vous en avez déjà manqué un ce matin, sur des perdrix qui voulaient se suicider, et vous l’essayez encore sur des bartavelles, et des bartavelles qui venaient vers moi !

- J’avoue que je me suis un peu pressé, dit mon père, d’une voix coupable… Mais pourtant…

- Pourtant, dit l’oncle d’un ton tranchant, vous avez bel et bien manqué des perdrix royales, aussi grandes que des cerfs-volants, avec un arrosoir qui couvrirait un drap de lit. Le plus triste, c’est que cette occasion unique, nous ne la retrouverons jamais ! Et si vous m’aviez laissé faire, elles seraient dans notre carnier !

- Je le reconnais, j’ai eu tort, dit mon père. Pourtant, j’ai vu voler des plumes

- Moi aussi, ricana l’oncle Jules, j’ai vu voler de belles plumes, qui emportaient les bartavelles à soixante à l’heure, jusqu’en haut de la barre, où elles doivent se foutre de nous !

Je m’étais approché, et je voyais le pauvre Joseph. Sous sa casquette de travers, il mâchonnait nerveusement une tige de romarin, et hochait une triste figure. Alors, je bondis sur la pointe d’un cap de roches, qui s’avançait au-dessus du vallon et, le corps tendu comme un arc, je criai de toutes mes forces : « Il les a tuées ! Toutes les deux ! Il les a tuées ! »

Et dans mes petits poings sanglants d’où pendaient quatre ailes dorées, je haussais vers le ciel la gloire de mon père en face du soleil couchant.

La gloire de mon père (1957). Marcel Pagnol. Editions de Fallois, 1996. p.196-97

 

L’exploit est réalisé ! Le père de Joseph a fait « le coup du roi ». Et voilà que le curé propose à Joseph d’immortaliser cette scène par une photo !!!! Joseph sera photographié avec deux perdrix comme Monsieur Arnaud avait été photographié avec un poisson !!!

 

« Comme nous allions chercher nos musettes chez l'épicier, nous rencontrâmes encore une fois M. le curé. Il portait un appareil photographique qui avait la forme, les dimensions et l'élégance d'un pavé.

Il s'avança, tout souriant, et dit : « Si cela ne vous dérange pas, je voudrais bien conserver un souvenir de cette admirable réussite.

— Un coup de chance, dit mon père modestement, ne mérite peut-être pas un si grand honneur. — Mais si, mais si ! Je me ferai un plaisir de vous envoyer un tirage de cette image, qui sera un souvenir agréable des grandes vacances de cette année. » Mon père se prêta docilement aux exigences du photographe : il me montra qu'il en souffrait, mais qu'il n'osait pas être impoli. Il posa donc à terre la crosse de son fusil, appuya la main gauche sur le bout du canon, et de son bras droit, entoura mes épaules. M. le curé nous regarda un instant, les yeux clignés : puis il s'avança, et fit tourner les bartavelles — toujours pendues à la cartouchière -pour mettre en évidence leur ventre moucheté.

Enfin il recula de quatre pas, appliqua l'appareil sur sa ceinture, baissa la tête et s'écria : « Ne bougeons plus !» J'entendis un déclic aussi fort que celui d'une serrure, et M. le curé compta : « Un, deux, trois ! Merci ! — Nous habitons aux Bêlions, dit mon père, à la Bastide- Neuve.

— Je sais, je sais ! » dit M. le curé .

Puis il ajouta, sur un ton un peu pathétique : « Comme je n'ai pas l'occasion de vous voir souvent, je confierai le tirage que je vous destine à monsieur votre beau- frère, qui est le plus éminent de nos paroissiens. Au revoir, et encore une fois, tous mes compliments ! » Il s'en alla, poli, amical, souriant, si sympathique que j'avais envie de le suivre, ce qui me fit comprendre quel danger ces fausses apparences représentaient pour la société. Quand nous eûmes tourné le coin de la place, mon père me dit : « Nous sommes dans un petit village : il eût été maladroit de refuser : c'était peut-être ce qu'il espérait, pour nous accuser, ensuite, de sectarisme. Mais nous avons été plus malins que lui ! » Nous reprîmes d'un bon pas le chemin montant du retour. Les oiseaux dansaient toujours à la ceinture de mon père, et comme ils étaient pendus par le cou, je lui dis qu'il avait tué des bartavelles, mais que nous finirions par manger des cygnes. On les mit à la broche le lendemain — ce fut un repas historique, et presque solennel.

Il fut marqué cependant par un incident pénible : l'oncle Jules, dont l'appétit paysan faisait l'admiration de la famille, se cassa une dent — en porcelaine — sur un plomb n° 7, resté invisible dans la tendresse d'un croupion. Mais il retrouva un beau sourire lorsque mon père déclara que le curé du village était un savant, et, de plus, un homme fort sympathique, dont la conversation l'avait charmé.

Le lendemain, comme nous partions pour la chasse, je vis que, renonçant à sa casquette, il avait mis un vieux chapeau de feutre marron, « à cause, dit-il, du soleil qui, parfois, en traversant ses lunettes, l'éblouissait ». Mais je remarquai — sans rien dire — que la coiffe du feutre était entourée d'un ruban — qu'on ne trouve pas sur une casquette — et que, dans ce ruban, étaient fichées deux jolies plumes rouges, symbole et souvenir du double « coup du roi ». Depuis ce jour-là au village, quand on parlait de mon père, on disait : « Vous savez bien, ce monsieur des Bêlions ? — Celui qui a la grosse moustache ? — Non ! l'autre ! le Chasseur ! Celui des Bartavelles ! » Le dimanche suivant, comme l'oncle revenait de la messe, il tira de sa poche une enveloppe jaune .

« Voilà, dit-il, de la part de M. le curé. » Toute la famille accourut : l'enveloppe contenait trois épreuves de notre photographie .

C'était une réussite : les bartavelles étaient énormes et Joseph brillait dans toute sa gloire ; il ne montrait ni surprise ni vanité, mais la tranquille assurance d'un chasseur blasé, à son centième doublé de bartavelles .

Pour moi, le soleil m'avait imposé une petite grimace, que je ne trouvai pas jolie : mais ma mère et ma tante y virent un charme de plus, et chantèrent longuement leur admiration totale .

Quant à l'oncle Jules il dit gentiment : « Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, mon cher Joseph, j'aimerais bien garder la troisième épreuve, car M. le curé m'a dit qu'il l'avait tirée à mon intention... — Si cette bagatelle peut vous faire plaisir... dit mon père. — Oh oui ! dit tante Rose avec enthousiasme.  Je la ferai mettre sous verre, et nous la placerons dans la salle à manger ! » Je fus fier à la pensée que nous serions éclairés tous les soirs par la luxueuse lumière du Gaz.

 

La scène finale est merveilleuse de délicatesse et de profondeur. Alors qu’on aurait pu imaginer la déception de Pagnol après le contre-exemple donné par son père, voici qu’il écrit : « J’avais surpris mon cher surhomme en flagrant délit d’humanité : j’en sentis que je l’en aimais davantage. Alors, je chantais la farandole, et je me mis à danser au soleil… » (La Gloire de mon Père Pagnol)

 

La liturgie de ce dimanche nous invite à la Réconciliation ! Et tout l’enjeu de la réconciliation nous a été offert par cette dernière scène de la Gloire de Mon Père.

S’accueillir les uns les autres alors que nous nous surprenons en flagrant délit d’humanité en permanence ! Nous en aimer davantage !

 

De même avec Dieu !

Quand je me confesse, je n’attends pas du prêtre qu’il me dise « ce n’est rien ! » ! Je n’attends pas qu’il m’excuse et encore moins qu’il me condamne ! J’attends qu’à travers ce pauvre bougre, Dieu me redise qu’il m’en aime que davantage alors qu’il me surprend en flagrant délit d’humanité !

 

Mais c’est si difficile d’accepter d’être surpris en flagrant délit d’humanité. Et ce qui complique ces réconciliations, c’est ce qu’un document d’entreprise appelle les moisissures argumentatives ! Comprenons notre mauvaise foi !!!

Il détaille 20 moisissures !!! 20 ennemis de la réconciliation !

 

J’en reprends 3 principales ..

 

1 La généralisation abusive !

Méthode : prendre un échantillon trop petit et en tirer une conclusion générale ! Mon voisin est un imbécile moustachu. Donc, tous les moustachus sont des imbéciles. Ou plus grave : « tous les chinois sont comme ça .. ou tous les juifs sont comme ça »

 

2 L’analogie douteuse

Méthode : discréditer une situation en utilisant une situation de référence lui ressemblant de façon lointaine

Vous dites que ma thèse est fausse mais Galilée aussi a été condamné et pourtant il avait raison !

 

3 L’argumentation Ad populum : L’appel à la popularité

Méthode : invoquer le grand nombre de personnes qui adhèrent à une idée

55% des français pensent que cette pratique est bonne donc c’est moral

 

Allez, j’en rajoute une 4° pour ceux qui ne se sentiraient pas concernés par les 3 premières (et qui devraient changer de lunettes pour mieux regarder leur vie !)

 

4 L’argument d’autorité

Méthode : invoquer une personnalité faisant ou semblant faire autorité dans le domaine concerné
Isaac Newton est un génie et il croyait en Dieu. Donc Dieu existe.

 

5 L’homme de paille

Méthode : travestir la pense de l’interlocuteur en une autre, plus facile à réfuter ou à ridiculiser

cliquer pour découvrir les autres moisissures 

Article publié par emmanuel canart • Publié le Mercredi 30 mars 2022 • 498 visites

keyboard_arrow_up