Homélie 26 Janvier 2021 Sainte Famille

Homélie Sainte Famille 26 décembre 2021

 

Chaque texte du pape François est ordonné par un principe. Dans son exhortation sur la famille, le principe est évoqué dès le paragraphe 3 : « le temps est supérieur à l’espace »

 

François a d’ailleurs déjà évoqué ce principe dans d’autres encycliques « Laudato si’ » (n° 178) et « La joie de l’Evangile » (n° 22-225). C’est vraiment une clé pour mieux comprendre l’enseignement et l’action du pape

 

Quel sens le pape donne-t-il aux termes « temps » et espace » ?

 

1° Le temps désigne les moments qui se succèdent, la fluidité de l’existence et la succession des évènements. Le temps n’est jamais fixe et personne ne peut l’arrêter. Il est impossible d’accumuler les heures et les minutes, de les inscrire sur un compte en banque. Il modifie tout ce qu’il touche. Ainsi le temps transforme l’enfant qui deviendra adolescent, adulte, vieillard. Il a partie liée avec l’inattendu et la liberté. Personne ne sait ce qui arrivera demain et personne ne connaît les défis qui l’attendent sur le chemin.

 

2° A l’opposé, l’espace signifie le cadre fixe qui peut être maîtrisé et contrôlé. L’espace de la maison peut être organisé, les meubles bien rangés, la voiture stationnée dans le garage.  Je peux embrasser d’un regard tous les livres d’une bibliothèque, bien que je ne puisse lire qu’un livre à la fois. On possède son espace, par exemple son appartement, et on peut installer une caméra ou une porte blindée pour le sécuriser. L’espace permet d’accumuler et il nourrit la volonté de tout contrôler.

 

 

Le pape met en garde contre la tentation d’accorder trop d’importance à l’espace. « Donner la priorité à l’espace conduit à devenir fou pour tout résoudre dans le moment présent, pour tenter de prendre possession de tous les espaces de pouvoir et d’auto-affirmation. C’est cristalliser les processus et prétendre les détenir. » (EG 223).

 

Dire que le temps est supérieur à l’espace est une invitation à « initier des processus plutôt que de posséder des espaces. » Cette invitation se traduit alors par une série de déplacements à vivre.

  • Il s’agit de déplacer la priorité donnée au court terme et au résultat immédiat vers le long terme et le résultat durable.
  • Il s’agit de déplacer la recherche d’une prévision parfaite du futur vers l’accueil de l’inattendu.
  • Il s’agit enfin de déplacer l’envie de posséder, de maîtriser et de contrôler vers la mise en mouvement et l’ouverture de processus qui seront poursuivis par d’autres personnes ou groupes. (CF HB Diocèse du Jura)

 

Privilégier le temps sur l’espace suppose une certaine fragilité, celle de perdre le contrôle total, de se désapproprier du résultat de l’action réalisée, celle d’accepter un résultat différent de celui qui était attendu. C’est précisément cette fragilité qui fait place à l’émergence du nouveau. Tant qu’on reste dans la logique de la maîtrise et du contrôle absolu, on reste dans la répétition du déjà connu. (La création n’a pas de place dans la plénitude et la perfection, elle prend forme quand on laisse un certain vide. A l’inverse de l’espace, le temps ne peut pas être possédé. Fabriquer est une manière de posséder l’espace, tandis que créer est une manière d’initier un processus. L’espace a partie liée avec le pouvoir, le temps est de l’ordre du service).

 

Le pape applique ce principe à tous les domaines de la vie. Il explique entre autres le regard qu’il porte sur les normes. Sans les remettre en question, par exemple dans la vie du couple et de la famille, le pape insistera sur les personnes et sur les chemins qui leur permettent d’avancer aujourd’hui. Ainsi le pape ne privilégie pas l’espace, notamment la norme, mais le temps, c’est-à-dire le cheminement et la croissance des personnes qui ne se font que dans la durée. L’éducation fournit un autre exemple parlant pour l’application de ce principe. « L’obsession n’éduque pas ; et on ne peut avoir sous contrôle toutes les situations qu’un enfant pourrait traverser. Ici vaut le principe selon lequel ‘le temps et supérieur à l’espace’. C’est-à-dire qu’il s’agit plus de créer des processus que de dominer des espaces…. Ce qui importe surtout, c’est de créer chez l’enfant, par beaucoup d’amour, des processus de maturation de sa liberté, de formation, de croissance intégrale, de culture d’une authentique autonomie. » (AL 261)

 

 

Je le dis de façon plus concrète ..

Le danger serait de privilégier l’organisation de l’espace, à coup de volonté et d’efforts ! pour que les garages de nos vies, de notre conjoint, de nos enfants soient toujours bien rangés. Et on ne sera en paix que quand tout sera en ordre ! Et cela rend « fou », ou en colère car rien ne sera jamais vraiment parfaitement rangé.

Le danger serait d’épuiser les autres et nous-mêmes ! en tentant de maitriser (posséder) les évènements, les caractères, les histoires etc… Avec la fausse idée qu’on ne pourra être en paix que quand tout sera maitrisé et organisé.

 

 

Le chemin est sûrement justement d’accepter d’être en chemin… humblement… Davantage désireux de permettre à chacun d’avancer, d’évoluer… y compris dans la foi ! Parfois, le garage ne sera pas bien rangé mais l’essentiel est de se relever, de repartir sans se décourager… (cf note 2). L’essentiel est de comprendre que la paix est d’avancer avec Jésus.

 

Dans notre propre vie, il nous faut privilégier le temps à l’espace. Et, pour reprendre les mots de Saint Jean dans la 2° lecture, « car si notre coeur nous condamne, Dieu est plus grand que notre coeur, et il connaît toutes choses ».

 

 

Note 1 HB Eglise du Jura 

Un autre exemple peut être pris de la pastorale. Privilégier l’espace signifie d’être dans une pastorale de l’encadrement, de vouloir quadriller l’espace, de continuer à faire comme on a toujours fait, bien que les forces disponibles soient moindres et que l’épuisement guette les pasteurs. Cela signifie d’être dans une pastorale de l’entretien et sans souffle pour la créativité. D’après le pape François, la priorité n’est pas d’agir selon cette logique de l’espace, mais de privilégier le temps, c’est-à-dire d’initier une dynamique, lancer des initiatives nouvelles et sans vouloir tout maîtriser.

Bien sûr, on ne peut pas opposer le temps et l’espace. Le pape lui-même parle « d’espaces de rencontres » dont nous avons besoin. Mais en indiquant ce principe nouveau, il oriente l’Eglise autrement. Il n’est pas certain que fidèles et pasteurs en aient saisi tous les enjeux.

H.B.

 

Note 2 Amoris Laetitia Pape François Les circonstances atténuantes dans le discernement pastoral

301. Pour comprendre de manière appropriée pourquoi un discernement spécial est possible et nécessaire dans certaines situations dites ‘‘irrégulières’’, il y a une question qui doit toujours être prise en compte, de manière qu’on ne pense jamais qu’on veut diminuer les exigences de l’Évangile. L’Église a une solide réflexion sur les conditionnements et les circonstances atténuantes. Par conséquent, il n’est plus possible de dire que tous ceux qui se trouvent dans une certaine situation dite ‘‘irrégulière’’ vivent dans une situation de péché mortel, privés de la grâce sanctifiante. Les limites n’ont pas à voir uniquement avec une éventuelle méconnaissance de la norme. Un sujet, même connaissant bien la norme, peut avoir une grande difficulté à saisir les « valeurs comprises dans la norme »[339] ou peut se trouver dans des conditions concrètes qui ne lui permettent pas d’agir différemment et de prendre d’autres décisions sans une nouvelle faute. Comme les Pères synodaux l’ont si bien exprimé, « il peut exister des facteurs qui limitent la capacité de décision ».[340] Saint Thomas d’Aquin reconnaissait déjà qu’une personne peut posséder la grâce et la charité, mais ne pas pouvoir bien exercer quelques vertus,[341] en sorte que même si elle a toutes les vertus morales infuses, elle ne manifeste pas clairement l’existence de l’une d’entre elles, car l’exercice extérieur de cette vertu est rendu difficile : « Quand on dit que des saints n’ont pas certaines vertus, c’est en tant qu’ils éprouvent de la difficulté dans les actes de ces vertus, mais ils n’en possèdent pas moins les habitudes de toutes les vertus ».[342]

 

 

Article publié par emmanuel canart • Publié le Mercredi 30 mars 2022 • 374 visites

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